Professeur de Français
Messages : 147 Date d'inscription : 16/03/2020
| Sujet: Lecture linéaire : extrait Julie/prêtre Lun 6 Avr - 20:35 | |
| Le dialogue argumenté permet à Balzac de donner son point de vue critique. En effet, le prête est le personnage qui permet d'introduire le sujet et le point de vue inverse à savoir la perception générale de l'époque sur le phénomène de société évoqué. Tandis que Julie est le point de vue de Balzac qui va contredire et argumenter pour s'opposer à cette perception générale et la dénoncer.
Le prêtre débute notre extrait en introduisant le premier élément de la critique (« obéir », « la loi », « les usages », « la société ») et la perception générale que le prêtre représente : « Nous devons, madame, obéir ». Le point de vue du prêtre indique la nécessité d'obéir, de se soumettre au collectif, aux normes sociétales, comme le montre l'emploi du verbe devoir « nous devons » et l'emploi du pronom personnel de la première personne du pluriel (« nous ») qui désigne à la fois le prêtre, Julie, le lecteur et tout le reste des membres de la société. On devine aisément que ce présent est un présent de vérité générale : « nous devons » qui représente bien cette perception générale comme une vérité générale que l'on ne peut combattre et qu'il faut accepter, que Julie doit accepter. En effet, il s'adresse à elle comme le montre l'apostrophe « madame ». Ainsi, l'argument du prêtre est l'acceptation de la nécessité de l'obéissance. Il met en valeur ces éléments auxquels « nous devons obéir » à savoir la loi (métaphore de la parole de la société) et les usages (métaphore des actions de la société) : ainsi, nous avons une personnification de la société, personnage auquel il faut se soumettre en obéissant et en se soumettant à sa loi et à ses usages.
Julie l'interrompt alors, confrontant son point de vue au sien. Sa réplique va ainsi être une argumentation destinée à s'opposer au point de vue du prêtre, au point de vue de la généralité et à critiquer la société. Son argumentation commence par la falsification, le rejet de l'argumentation de l'autre. Julie va contredire le prêtre : en effet, elle témoigne d'une surprise importante face aux dires de celui-ci comme le montre la répétition sous forme de question pour remettre en question ses mots « Obéir à la société ? », les points de suspension suivant la question insistant sur son rejet de ces mots qu'elle prononce avec « horreur », « en laissant échapper un geste d'horreur », témoignant du manque de contrôle et de maîtrise de soi à cause de ses émotions, du rejet et de « l'horreur » ressentie. L'interjection montre encore cela : « Hé ! » et permet d'introduire avec efficacité l'antithèse, le point de vue critique de Julie : « monsieur, tous nos maux viennent de là. ». Ainsi, cette expression s'oppose aux mots du prêtre : elle s'adresse elle aussi à lui (« monsieur ») pour le contredire et critiquer cette société à laquelle il faudrait obéir selon lui. Commence l'argumentation de Julie, une argumentation bien menée et critique qui s'oppose à l'argumentation du prêtre : La société est réduit à un déictique : « là », d'où viendraient « tous nos maux », elle aussi employant la deuxième personne du pluriel et le présent de vérité générale pour généraliser ses dires : elle reprend les mêmes armes que le prêtre pour le contredire. L'hyperbole « tous nos maux » permet d'insister sur la critique de la société et de la diaboliser, d'en faire la seule cause du malheur, ce qui est renchérit avec la phrase qui suit : « Dieu n’a pas fait une seule loi de malheur ; mais en se réunissant les hommes ont faussé son œuvre. » Julie explique son point de vue en montrant bien qu'en effet, la société est la seule cause de malheur car Dieu n'en a pas fait « une seule » (qui s'oppose à « tous les maux »). Les « hommes » et leur réunion sont les fautifs comme l'indique le connecteur logique « mais », opposant la loi divine,l'origine de tout, et les constructions humaines, qui ont dénaturé et « faussé » l'oeuvre de Dieu. C'est une accusation en direction des « hommes » (que le prêtre va représenter par l'emploi du pronom « vous ») dont les premières victimes sont « nous femmes » : « Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n’avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. La nature étouffe les êtres faibles, vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. » Julie poursuit son argumentation : elle cherche toujours à montrer que la société est à l'origine de tous les malheurs en distinguant les malheurs de la nature des malheurs de la civilisation. Elle insiste bien sur la distinction entre le « nous », « nous femmes » qui s'oppose au « vous » pour montrer ceux qui subissent et ceux qui font subir, les victimes (femmes) et les coupables (hommes). L'emploi du conditionnel montre qu'elle propose une hypothèse où les femmes seraient dans la nature et seraient moins « maltraitées ». S'en suit cette succession de phrases qui repose sur un balancement et un jeu de parallélismes : « La nature … La civilisation.... », « nous », « les faibles » et « vous ». Les accusations se succèdent dans le propositions subordonnées « que vous n'avez pas adoucies », « que vous trompez incessamment », « vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. »
Julie mène une argumentation efficace où elle critique la société et accuse les hommes, ce qui lui permet de dévier vers une autre critique : celle du mariage, institution de la société.
« Le mariage, institution sur laquelle s’appuie aujourd’hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs. » Julie précise ce qu'elle dénonce. Il ne s'agit plus de la société en générale, mais plus particulièrement du « mariage », introduit par le déterminant défini « le » pour bien définir cette « institution sur laquelle s'appuie aujourd'hui la société », cible de sa dénonciation et dont l'existence est mis en avant au présent par l'adverbe déictique « aujourd'hui ». Ce n'est pas une autre critique, c'est un rapprochement, un changement d'échelle, la poursuite de la critique première mais qui s'attarde sur un élément sociétal particulier à l'origine lui aussi des maux des femmes, les femme étant de nouveau les « seules » victimes et l'insistance sur le pronom « nous » une nouvelle fois le montre bien : « nous en fait... à nous seules ». Le déterminant « tout » vient insister là encore sur la quantité subie par les femmes « tout le poids », tout comme au début du texte « tous les maux » : elles ne font pas que subir, elles subissent énormément. L'adjectif « seules » exprime que les femmes sont les seules victimes, ce que le parallélisme qui suit met aussi en avant en rapprochant la « liberté » des « hommes » et les « devoirs » des femmes.
« Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. » Le jeu de la comparaison et du balancement entre le « nous » et le « vous » se poursuit avec un nouveau parallélisme déséquilibré par le changement de forme, le passage de l'affirmation à la négation : il repose sur le verbe devoir et l'inversion du « nous vous », « vous ne nous » pour comparer ce que chacun doit à l'autre. Nouveau déséquilibre de quantité avec le déterminant « toute » et l'adjectif « rares » : les femmes subissent encore une quantité infinie, « toute notre vie » alors que les hommes se leur doivent que de « rares instants », une quantité infime, idée renchérit par l'emploi de la négation restrictive « ne...que » qui montre bien la différence de quantité.
« Enfin l’homme fait un choix là où nous nous soumettons aveuglément. » : emploi du connecteur logique « enfin » qui montre bien que Julie mène une argumentation construire dont elle arrive à la fin. Nouveau balancement, nouvelle comparaison entre « l'homme » (prise de distance, il ne s'agit plus d'un « vous » accusateur destiné au prêtre) et le pronom « nous » (les femmes, dans lequel Julie continue de s'inclure). Elle insiste sur le même argument que le précédent, l'homme est libre (« liberté »), il peut « faire un choix » alors que la femme doit « toute sa vie », se soumet « aveuglément ». Le verbe dévalorise la position de la femme tout comme l'adverbe, pour bien insister sur la situation de la femme, une situation qu'elle s'impose elle aussi à elle-même, « aveuglément ».
« Oh ! monsieur, à vous je puis tout dire. Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances. » Interjection indiquant un élan émotif : elle cherchait à convaincre, jusqu'à présent, par des arguments rationnels. Elle cherche maintenant aussi à persuader en s'impliquant émotivement auprès du prêtre auquel elle s'adresse (apostrophe « monsieur ») et auquel elle peut se confier : il n'est plus l'accusé, il n'est plus l'homme qu'elle pointe du doigt, il est celui à qui (« à vous », le pronom n'étant plus destiné aux homme accusés et cibles de la critique) elle peut « tout dire ». Il reprend son rôle de prêtre auquel elle peut se confesser et elle confesse ainsi son point de vue : « hé bien », interjection pour introduite le point de vue : « le mariage, tel qu'il se pratique aujourd'hui, me semble être une prostitution légale ». Julie insiste encore sur l'institution entant qu'elle est actuellement, au présent, comme elle la connaît (« aujourd'hui », adverbe déictique) : on devine que c'est pour cibler son propre mariage. Elle compare le « mariage » à une « prostitution légale » (oxymore), comparaison qui dévalorise et critique le mariage. Toutes les femmes seraient ainsi des prostituées selon Julie, la seule différence serait dans le statut : prostituée légale, prostituée illégale. C'est une critique virulente du mariage, qui montre bien l'emprisonnement des femmes, réduites à des objets d'appartenance, de possession : des objets sexuels. Une épouse se doit de remplir ses devoirs conjugaux, notamment dans la sexualité : ces devoirs se rapprochent ainsi d'une forme de prostitution pour Julie.
« Mais moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées je dois garder le silence ! moi seule suis l’auteur du mal, j’ai voulu mon mariage. » : Conjonction de coordination avec valeur d'opposition (connecteur logique) « mais » : passage du « nous » au « moi ». Il ne s'agit plus de critiquer ou de rejeter le mariage en général, mais de rejeter son propre mariage à présent. Julie se prend pour exemple parmi tant d'autres exemples comme le montre l'emploi du pronom « moi », appuyé par l'adjectif « seule » et la construction de la phrase « moi … parmi... » les autres : « moi seule parmi les malheureuses créatures si fatalement accouplées », périphrase qualifiant les femmes mariées qui insiste bien sur leur malheur, leur emprisonnement, le peu de choix qu'elles ont : insistance avec double adjectifs (« malheureuses », « accouplées ») et un adverbe pour appuyer sur l'un des deux adjectifs (« fatalement »). On retrouve le verbe devoir de nouveau, associé à la première personne, donc à Julie, une épouse pleine de devoirs elle aussi : « je dois ». Il y a une sorte de prétérition dans cette phrase (prétérition : figure de style qui consiste à dire qu'on ne parlera pas d'une chose, dont on parle tout de même. Ce procédé est utilisé pour mettre en évidence une situation, une idée, un jugement dont on veut faire sentir l'importance.) car Julie prend la parole pour s'exprimer et critiquer, alors qu'elle annonce le fait qu'elle doit « garder le silence ». Sa prise de parole actuelle est contradictoire avec ses mots. La phrase qui suit débute en reprenant anaphoriquement un élément de la phrase précédente « moi seule », pour insister sur l'élément qui va suivre : Julie ne pointe plus son doigt vers le « vous » des hommes accusateurs, mais bien sur elle-même, sur « l'auteur du mal », périphrase qu'elle évoque pour parler d'elle-même (le verbe être le montre bien « suis ») : la fin de la phrase tombe comme une sentence, comme une horrible accusation annoncée avec douleur : « j'ai voulu mon mariage ». Julie ne parle plus du tout du mariage en général (introduit par le déterminant défini « le ») mais bien de son mariage (« mon » déterminant possessif). Elle est à l'origine du mal car elle l'a « voulu » : elle s'est elle-même emprisonnée dans cette « prostitution légale ».
« Elle s’arrêta, versa des pleurs amers et resta silencieuse. » : notre extrait se termine ainsi, par la fin de la parole, par la souffrance de Julie (« des pleurs amers »), l'adjectif « amers » pointant du doigt le rôle d'accusé de Julie : ils sont amers car elle en est à l'origine, elle a « voulu » son « mariage ». Après la prise de parole, la dénonciation et la confession, la parole s'éteint pour laisser place aux « pleurs amers » et au silence : « resta silencieuse ». Il est intéressant de relever ce décalage dans notre extrait où Julie prend la parole tout du long pour s'exprimer mais finit par « garder le silence », par se taire en restant « silencieuse », le silence étant indiquant par l'adjectif pour qualifier Julie, comme si elle faisait le choix du silence, comme si elle réalisait que parler ne servait à rien, que ça ne changerait rien à la société et au mariage qu'elle dénonce. On peut interpréter ce silence comme un abandon dans la lutte : elle luttait avant de réaliser que sa lutte est vaine.
Face au prêtre et à son point de vue, Julie dégaine ses émotions et son argumentation pour convaincre et persuader le prêtre que la société et le mariage ne sont que souffrances et malheurs pour les femmes. Pendant une dizaine de lignes, elle propose une argumentation bien menée, une critique bien construite : son éloquence est mis en avant. Elle ose parler, elle ose prendre la parole pour dénoncer, elle ose devenir le porte-parole des femmes et représenter le point de vue de Balzac sur la condition féminine et le mariage au XIXème siècle... Cependant, cette prise de parole perd peu à peu de sa légitimité.. Au fur et à mesure, la critique et l'argumentation deviennent une simple confession dans laquelle Julie se confie sur son mariage avant de redevenir totalement « silencieuse ». Dans la parole comme dans le silence, Balzac dénonce la condition de la femme : que Julie parle pour exprimer le point de vue de Balzac ou qu'elle se taise pour le représenter, elle permet bien au lecteur d'y avoir accès. Elle est à la fois celle qui dit mais aussi celle qui vit le malheur et l'injustice de la femme du XIXème siècle. Ainsi, cette Julie qui verse « des pleurs amers » en restant « silencieuse » montre bien au lecteur le peu d'armes que possèdent les femmes à cette époque pour lutter contre leur condition et contre le mariage. |
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